Les acteurs qui ont saisi la relative inefficacité et les effets pervers du redoublement ont proposé d’y renoncer, de lui substituer une pédagogie plus différenciée et des cycles d’apprentissage pluriannuels. Ce renoncement ne fait pas l’unanimité, il est contesté au nom du réalisme – ce serait la seule réponse raisonnable Í l’hétérogénéité – ou du maintien des exigences, la suppression du redoublement étant censée entraÍ®ner une “baisse du niveau” .
À l’origine du redoublement, il y a l’échec et le sentiment d’échec. Même s’il prétend mettre l’élève Í niveau, un redoublement désigne un élève en difficulté. Souvent, le redoublement est défendu comme une mesure prise dans l’intérêt de l’élève, alors qu’il est au moins autant au service de la régulation des flux et de l’homogénéisation relative des cohortes dans le cadre du découpage en étapes annuelles. Le redoublement paraÍ®t souvent l’unique façon de réguler les écarts entre développement et exigences, entre Í¢ge réel et niveau scolaire. C’est d’autant moins acceptable qu’en réalité, la mise Í niveau n’a pas lieu ou n’est pas suffisante. L’élève qui redouble reste en difficulté, il perd confiance en lui et traÍ®ne son retard scolaire comme un handicap, notamment au moment d’une orientation décisive. Les méfaits du redoublement sur l’image de soi des élèves sont maintenant attestés et ses piètres effets de régulation soulignés. Bref, chaque redoublement allonge la scolarité et dégrade l’image de soi, sans être pour autant efficace !
Les recherches internationales montrent que le redoublement n’est pas une réponse Í l’hétérogénéité s’il n’est pas associé, en amont et en aval, Í une pédagogie plus différenciée. En amont pour éviter cette mesure extrême, et en aval pour soutenir l’élève qui a redoublé. C’est Í cette seule condition – une réelle différenciation – que les élèves qui redoublent pourraient éventuellement s’en sortir. Pourquoi alors ne pas faire un pas de plus : en développant une pédagogie différenciée, dans le cadre de cycles d’apprentissage pluriannuels, on pourrait se passer de tout redoublement.
Plusieurs systèmes éducatifs tentent de mettre en place de tels cycles. Hélas, ils n’osent pas toujours renoncer complètement Í une forme de redoublement caché : l’allongement du passage d’un élève dans un cycle. Par ce biais, le redoublement que l’on voulait éradiquer peut revenir, de façon masquée. Ajoutée en fin de cycle, une année supplémentaire n’a aucune raison d’être plus efficace qu’un redoublement classique et l’on peut en attendre les mêmes effets négatifs sur l’image de soi. Planifiée d’emblée, en début de cycle, une année supplémentaire enferme l’élève dans un pronostic défavorable ; on crée une école Í deux vitesses, dont on sait qu’elle accroÍ®t les inégalités. Mieux vaudrait
renoncer Í fonder des espoirs démesurés sur l’allongement du temps des études et investir dans d’autres modalités de différenciation, notamment la qualité de l’évaluation formative et de la prise en charge des élèves en difficulté.
Que la tentation de « donner du temps au temps » soit présente dans l’esprit de tout enseignant confronté Í l’hétérogénéité des élèves, rien n’est plus normal. Développer une alternative crédible prendra encore des années et passera par des moyens d’investigation, d’observation et de pilotage tant des parcours des élèves que du système, dans le cadre d’une politique scolaire qui se donne les moyens de ses objectifs, d’une pratique réflexive Í tous les niveaux.
Ceux dont la démocratisation des études n’est pas le souci primordial se rallient facilement Í l’idée que les élèves “peu doués” ont besoin d’un an de plus pour parcourir un cycle d’apprentissage. On voit donc poindre une position médiane : oui aux cycles, mais Í condition de perdre l’illusion que tous les élèves pourront les parcourir dans le même temps. Une alliance se dessine entre les enseignants sceptiques sur l’existence d’autres solutions et les parents d’élèves susceptibles de parcourir les cycles plus vite que la norme.
Ce compromis ne suffit pas Í ceux qui dénoncent la pédagogie différenciée et les cycles et voudraient voir se rétablir les notes, les normes de progression au degré suivant et le redoublement, repères et piliers d’une école “traditionnelle” enfin retrouvée. Retrouvée d’autant plus facilement que l’on ne s’en est guère éloigné, sinon en projet ! Redonner une légitimité aux pratiques de redoublement et leur restituer leurs fonctions effectives et symboliques sont donc les nouveaux enjeux des antipédagogues qui s’insurgent contre une école innovante, réformée, exploratrice de nouvelles formes scolaires et de nouvelles pratiques.
Le discours du système prÍ´ne la démocratisation, mais la rupture avec la fabrication de l’échec scolaire n’est pas accomplie. On n’éradique pas aussi facilement des rites comme le redoublement. L’impuissance de l’école Í construire des réponses positives et non sélectives au problème de l’échec ne contrarie pas, au contraire, ceux pour qui l’échec des uns paraÍ®t la condition de la réussite des autres.
Danielle Bonneton
– Membre du Laboratoire Innovation, Formation, Éducation (LIFE) - Université de Genève
– Membre du Groupe Romand d’Éducation Nouvelle (GREN)
– Enseignante et formatrice
– Membre de la Société pédagogique genevoise
Extrait de :
Laboratoire LIFE - Université de Genève, L’école entre Autorité et Zizanie, Lyon, Chronique Sociale, 2003
Pour en savoir plus :
– Crahay M., Peut-on lutter contre l’échec scolaire ?, Bruxelles, De Boeck, 1996
– Paul J.-J., Le redoublement : pour ou contre ?, Paris, ESF, 1996
– Perrenoud Ph., Les cycles d’apprentissage - Une autre organisation du travail pour
combattre l’échec scolaire, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 2002.