Article paru dans "High School Magazine" (mars 1999) - Etats-Unis
Article mis en ligne le 30 octobre 2008
dernière modification le 21 juillet 2009
corrigé et remis en ligne le 26 octobre 2018
On peut dire beaucoup de choses sur les valeurs et la personnalité d’un professeur en lui demandant simplement ce qu’il ressent lorsqu’il attribue des notes (qu’elles soient formulées sous forme numérique, sous la forme de “mentions” ou de lettres : “A, B, C, ...” ) . Certains défendent cette pratique, affirmant que les notes sont nécessaires pour « motiver » les étudiants. Bon nombre de ces professeurs semblent en effet être favorables au maintien de ce système compliqué consistant à consigner les cotes de chacun. Régulièrement, ces enseignants mettent en garde leurs étudiants, en leur faisant savoir « qu’ils devront connaitre ça pour le test ». Ces avertissements sont utilisés comme un moyen de contraindre les étudiants à prêter attention au cours ou à réaliser les lectures assignées. Pour les mêmes raisons, ces professeurs peuvent même recourir à des interrogations-surprises, en gardant leur carnet de notes à portée de main.
Nous devrions être franchement inquiets pour les étudiants qui ont à faire avec ces professeurs. D’après mon expérience, les professeurs les plus impressionnants sont ceux qui méprisent l’ensemble de ce processus d’attribution des notes. Leur aversion est en l’occurrence appuyée par de solides éléments de preuve qui soulèvent des questions quant à l’idée même de donner des notes.
Trois effets principaux de la notation
Les chercheurs ont identifié trois effets constants de la notation (chiffrée ou sous forme de “lettres” ) et de l’importance que lui témoigne le professeur.
1. La notation a tendance à réduire l’intérêt des étudiants pour l’apprentissage en lui-même. L’une des découvertes les plus importantes dans le domaine de la psychologie de la motivation est le fait que plus les individus sont récompensés pour faire quelque chose, plus ils ont tendance à perdre leur intérêt pour la chose en question [1]. Ainsi, il ne devrait pas être surprenant que lorsque les étudiants sont informés qu’ils devront connaitre quelque chose pour un test (ou, plus généralement, pour quelque chose qui sera noté), ils soient susceptibles de considérer cette tâche comme une corvée.
Certes, il n’est pas impossible qu’un étudiant se préoccupe d’obtenir de bonnes notes tout en appréciant ce qu’il fait, mais en pratique ces deux manières de penser tirent généralement dans des directions opposées. Des recherches ont démontré de façon explicite que l’“orientation par la notation” et l’“orientation par l’apprentissage” entretiennent une relation inverse [2]. Plus frappant encore, on a remarqué, études après études, que les étudiants (de l’école primaire Í l’enseignement secondaire, et peu importe leur culture), parce qu’ils étaient notés, faisaient montre de moins en moins d’intérêt pour les tâches scolaires [3]. On peut en conclure que quiconque veut voir des étudiants accrochés aux savoirs a déjà de bonnes raisons de chercher d’autres moyens d’évaluer et de décrire leurs productions.
2. La notation a tendance à réduire la préférence des étudiants pour les tà¢ches représentant un défi. Les étudiants de tous à¢ges qui ont été amenés à se concentrer sur l’obtention d’une bonne note optent généralement pour l’activité la plus simple lorsqu’on leur en donne le choix [4]. Plus la pression est grande pour obtenir une bonne note, moins ils sont enclins à choisir une tà¢che qui soit un véritable challenge. Ces étudiants sont moins paresseux que rationnels : ils s’adaptent à un environnement o๠ce sont les bonnes notes, et non les explorations intellectuelles, qui comptent. Ils pourraient très bien nous dire : « Hé, vous m’avez dit que le but ici était de décrocher une bonne moyenne, d’atteindre le tableau d’honneur. Eh bien, je ne suis pas stupide : plus la tâche est simple, plus il est probable que j’obtienne un bon résultat. Ne me blà¢mez donc pas quand j’essaie de trouver l’activité la plus facile qui soit, tant et si bien que je n’apprenne jamais rien. »
3. La notation a tendance à amoindrir la qualité de la pensée des étudiants. Étant donné que les étudiants, à cause de la notation, peuvent perdre de l’intérêt pour ce qu’ils apprennent, il est naturel qu’ils tendent également à ne pas trop approfondir leur pensée sur un sujet donné. Quelques études, par exemple, ont montré que les étudiants à qui on attribuait des notes chiffrées étaient, de façon significative, moins créatifs que ceux qui recevaient des feed-back qualitatifs, sans notation. En fait, plus une tâche fait appel à la créativité, plus la performance des étudiants qui savent qu’ils vont être notés est mauvaise. Le fait d’accompagner la notation de commentaires additionnels n’y change rien : les meilleurs performances n’interviennent que lorsque les commentaires sont donnés en lieu et place des notes chiffrées [5]
Dans une autre expérience, des étudiants informés qu’ils seraient notés sur leur maîtrise d’une leçon en sciences sociales eurent davantage de difficultés à comprendre le sujet principal d’un texte que les étudiants à qui l’on avait dit qu’il n’y aurait aucune notation. Et même lorsque l’on demanda aux étudiants, une semaine plus tard, une restitution “par cœur” de la problématique, les étudiants du groupe noté se rappelèrent un nombre inférieur de faits [6]. Une étude très récente a découvert que les étudiants qui tendaient à appréhender les événements qui font l’actualité en se préoccupant de ce qu’il leur faudrait savoir pour être bien notés s’avéraient être moins bien informés que leurs pairs, même s’ils avaient ultérieurement pris d’autres variables en compte [7].
Davantage de raisons de dire non à la notation
Les trois résultats précédents devraient suffire pour que chaque éducateur consciencieux reconsidère le fait de noter les étudiants. Mais comme on le dit lors des programmes télévisés de fin de soirée : « Ne manquez pas la suite ».
4. Les notes ne sont ni valides, ni fiables, ni objectives. Un “B” en anglais ne dit rien sur ce qu’un étudiant peut faire, sur ce qu’il comprend, sur les éléments pour lesquels il a besoin d’aide. Les notes n’apportent aucune information utile à l’apprentissage. Elles sont en outre subjectives. Un enseignant peut méticuleusement enregistrer les scores obtenus lors des tests successifs, et éventuellement calculer les moyennes au centième de pour-cent près, mais cela ne change rien au caractère arbitraire de chacune des notes prises individuellement. Même la note à un test de mathématiques dépend en grande partie de la façon dont ce test a été conçu (les compétences que le professeur a décidé d’évaluer, les questions qui, par hasard, ont été omises, le nombre de points attribués à chaque section ...).
De plus, la recherche est depuis longtemps disponible pour confirmer ce que nous savons tous : pour juger une même production, deux enseignants aussi qualifiés l’un que l’autre peuvent donner deux notes différentes. Un seul et unique enseignant peut même attribuer des notes différentes à un même travail selon le moment auquel il le lit [8]. En bref, ce qu’offre la notation n’est qu’une prétendue précision : une cote subjective qui se fait passer pour une évaluation objective.
5. La notation déforme le curriculum. L’usage de la notation (qu’elle soit chiffrée ou sous forme de lettres) à l’école peut favoriser la transformation de l’instruction en un ensemble de faits faciles à mesurer. La mesure devient première et dirige l’éducation, comme si la queue d’un chien en venait à faire remuer celui-ci.
6. La notation fait perdre beaucoup de temps, un temps qui pourrait être consacré à l’apprentissage. Additionnez toutes les heures que les enseignants passent à s’agiter autour de leur carnet de notes. Ajoutez-y ensuite toutes les conversations (souvent déplaisantes) qu’ils ont avec leurs étudiants et les parents à propos des notes. Il est tentant de se contenter de lever les yeux au ciel lorsque l’on est confronté à des étudiants ou à des parents qui se plaignent ou tentent de soutirer quelque mince concession mais le véritable problème reste la pratique de la notation en elle-même.
7. La notation encourage la tricherie. Encore une fois nous pouvons continuer à blâmer et à punir tous les étudiants qui trichent ... ou nous pouvons nous interroger sur les raisons structurelles qui sont à l’origine de ce comportement. Des recherches ont indiqué que plus les étudiants étaient amenés à se concentrer sur l’obtention de bonnes notes, plus ils étaient susceptibles de tricher, et cela même s’ils considéraient la tricherie comme quelque chose de mauvais [9].
8. La notation corrompt les relations que les enseignants entretiennent avec les étudiants. Prenez connaissance de cette plainte, qui pourrait être celle d’un enseignant de votre quartier :
« Je suis fatigué d’animer une classe dans laquelle tout ce que nous faisons tourne autour de la notation. Je suis lassé d’être suspect lorsque les étudiants me font des compliments, me demandant s’ils agissent ainsi pour avoir de bonnes notes. Je suis fatigué de perdre tant de temps et d’énergie à noter vos feuilles, alors qu’il y a probablement une douzaine de façons plus productives et agréables pour nous tous d’évaluer vos documents. Je suis lassé de vous entendre me demander “Est-ce que c’est noté ?” Et Dieu sait comme je suis fatigué de tous ces petits arguments et contre-arguments que nous nous opposons concernant une cote, et qui enlève tant de plaisir à l’enseignement et à l’apprentissage. [10] »
9. La notation corrompt les relations que les étudiants ont entre eux. Il a été démontré que la qualité de la pensée des étudiants dépend en partie de la latitude qui leur est accordée pour apprendre de façon coopérative [11]. Dès lors, la sensation de malaise et de suspicion, ainsi que les ressentiments générés par la notation, ne sont pas seulement désagréables, ils nuisent aussi aux apprentissages.
La forme de notation la plus destructrice est de loin celle qui est réalisée en vue d’obtenir une “courbe de Gauss” , de telle façon que le nombre d’excellentes notes se trouve artificiellement limité : peu importe la qualité du travail des étudiants, seuls certains d’entre eux pourront obtenir un “A” . En dehors de l’injustice intrinsèque de cette pratique, son effet est de signifier aux étudiants que les autres sont des obstacles potentiels à leur propre succès. La forme de collaboration qui peut aider tous les élèves à apprendre plus efficacement n’a aucune chance d’intervenir dans un tel environnement.
Malheureusement, même les enseignants qui ne se donnent pas explicitement l’objectif de “coter en courbe de Gauss” supposent, peut-être inconsciemment, que les résultats finaux devraient être plus ou moins répartis de la façon suivante : peu d’excellentes notes, peu de très mauvaises cotes, et une majorité de résultats compris entre ces deux extrêmes. Mais, comme un groupe de chercheurs l’a fait observer, "ce n’est pas un signe de rigueur d’obtenir une répartition “normale” des résultats, mais plutôt un signe d’échec ; un échec au niveau de l’enseignement, un échec au niveau de l’évaluation, une incapacité de l’enseignement à avoir une quelconque influence sur la vie intellectuelle des apprenants" [12] ».
La compétition, qui transforme l’école en une quête du triomphe et qui rompt les relations entre les étudiants, ne se produit pas qu’à l’intérieur de quelques salles de cours bien entendu. Le même effet est observé à l’échelle de toute la scolarité, d’autant plus lorsque les élèves ne sont pas seulement notés mais aussi “classés” ; on leur envoie alors le message que le but n’est pas d’apprendre, ni même d’être performants, mais de battre les autres. Certains étudiants pourraient bien être motivés par l’amélioration de leur classement dans la hiérarchie de la classe, mais cette motivation est totalement étrangère à celle qui vise à comprendre des idées. Les éducateurs sages réalisent que ce qui compte, ce n’est pas tant que les étudiants soient motivés ; ce qui importe, c’est ce qui fonde leur motivation, c’est ce qui les motive. C’est la nature de la motivation qui compte, pas seulement son ampleur.
Inflation des notes ... et autres distractions
La plupart d’entre nous ont connaissance d’au moins quelques-unes des conséquences néfastes de la notation, mais nous continuons pourtant à réduire les étudiants à des lettres ou à des nombres. Peut-être nous sommes-nous habitués aux effets fâcheux de la notation, peut-être les considérons-nous comme faisant partie du décor. Cela a toujours été ainsi, et nous présumons que c’est ainsi que cela doit être. Comme ces personnes qui ont passé leur vie entière dans une ville terriblement polluée, et qui en viennent à considérer que l’air qu’ils respirent est tout à fait normal ... et qu’il est naturel de tousser constamment.
Curieusement, lorsque l’on indique aux enseignants qu’il ne doit pas en être ainsi, certains sont plus suspicieux que soulagés. Ils veulent savoir pourquoi vous « faites des histoires », ils affirment que vous exagérez les effets négatifs des notes (« ce n’est vraiment pas si grave ... », toussent-ils), ou ils rejettent les alternatives à la note qui ont pourtant prouvé leur valeur, au motif que notre école ne pourrait jamais faire ce que d’autres écoles sont parvenues à réaliser.
Les difficultés pratiques liées à l’abolition de la note sont réelles. Mais la question-clé est de savoir si ces difficultés sont considérées comme des problèmes à résoudre ou comme des excuses pour perpétuer le statu quo. La réponse logique aux arguments et aux éléments résumés ici consiste à dire : « Bon sang, si la moitié de ce qui a été affirmé au sujet des conséquences de la notation est vrai, il est dès lors impératif pour nous de faire ce que nous pouvons, aussi rapidement que nous puissions le faire, pour supprimer progressivement le système traditionnel de notation ». Pourtant, de nombreuses personnes en restent au problème de la mise en œuvre d’un tel changement, et répondent invariablement « Oui ... oui ... bien sûr ... mais nous ne nous débarrasserons jamais des notes parce que ... ».
Il est également frappant de constater que beaucoup d’enseignants ne dépassent pas le stade des questions insignifiantes telles que celles du nombre de tests à faire passer, de la fréquence des bulletins, de la correspondance entre une performance et une note (par exemple, “qu’est-ce qui correspond à un “B” , à un 15/20 ?” ), de la correspondance entre une note chiffrée et une appréciation sous forme de lettres. Certains sont même indignés par la possibilité que trop d’étudiants obtiennent de bonnes notes, une réaction qui montre bien que l’avarice avec laquelle on attribue de très bonnes notes n’a rien à voir avec la rigueur intellectuelle. Il est pourtant évident que le problème n’est pas l’inflation des notes mais la notation elle-même. La bonne raison de se révolter n’est pas le fait que trop d’étudiants obtiennent un “A” , mais que trop d’étudiants aient accepté le fait que l’on allait à l’école dans le but d’obtenir des “A” .
Les objections habituelles
Examinons attentivement les objections les plus fréquemment entendues en réponse aux arguments précédents, c’est-à -dire les objections les plus courantes à la suppression de la notation.
Tout d’abord, on dit souvent que les étudiants réclament des notes et en sont même “accros” . C’est souvent vrai ; personnellement, j’ai enseigné à des étudiants du secondaire qui réagissaient à l’absence de notes avec une espèce de vertige existentiel (« Qui suis-je, sinon un B+ ? »). Mais si davantage d’écoles primaires et de collèges remplaçaient la notation par des systèmes d’évaluation plus informatifs (et moins destructeurs), ces comportements dommageables n’apparaitraient pas à l’entrée des étudiants au lycée. Par ailleurs, les écoles primaires et les collèges qui refusent de changer leurs pratiques justifient souvent leur choix en expliquant qu’ils doivent habituer les élèves à obtenir des notes - même si cela a des conséquences négatives - parce que la notation est de mise dans le lycée local. De leur côté, les lycées montreront du doigt les collèges ...
Lorsque les étudiants arrivent au lycée avec - déjà ! - l’habitude de la notation, empressés de demander aux enseignants « Devons-nous connaitre ceci ? » ou « Que dois-je faire pour obtenir un A ? », c’est le signe qu’il y a un grave dysfonctionnement. Cela doit davantage nous amener à dénoncer ce qui s’est produit dans leur passé scolaire que nous donner des raisons de continuer à pratiquer de la sorte à l’avenir.
Peut être que la notation, pratiquée de façon intensive, permet de contraindre les étudiants à arriver à l’heure au cours, à remettre leurs travaux, à faire ce qu’on leur demande. Beaucoup d’enseignants sont réticents à abandonner ce qui constitue essentiellement un instrument de contrôle. Mais même dans la mesure ou cet instrument fonctionnerait (ce qui n’est pas toujours le cas), nous sommes obligés de nous interroger pour déterminer si cette obéissance aveugle est vraiment notre objectif. L’enseignant qui s’exclame « Ces enfants se moqueraient de mon cours s’ils n’étaient pas notés ! » porte un acte d’accusation très lourd sur son cours. Qui serait plus réticent à abandonner la notation que l’enseignant dont le cours se résume à déposer des transparents sur le rétroprojecteur ou à infliger indéfiniment à ses étudiants des conférences à propos des poètes romantiques ou des codes génétiques ? Sans pot-de-vin (les bonnes notes) ni menace (les mauvaises notes), les étudiants n’auraient aucune raison de participer à de telles séances. Soutenir que le problème provient des enfants - ou que la notation est “nécessaire” - c’est refuser volontairement d’analyser ses pratiques de classe et ses conceptions à propos de l’enseignement et de l’apprentissage.
« Si je ne peux donner à un enfant de meilleures raisons d’apprendre que la notation ou le bulletin, je devrais verrouiller mon bureau, rentrer chez moi et y rester » écrivait Dorothy De Zouche, une enseignante du Missouri, dans un article publié au moins de février ... en 1945. Mais les enseignants qui sont capables de donner aux enfants de bonnes raisons d’apprendre n’ont pas besoin de la notation. La recherche corrobore cet état de fait : lorsque le curriculum est engageant - par exemple lorsqu’il implique des manipulations pratiques ou des activités d’apprentissage interactives - les étudiants qui ne sont pas notés du tout réalisent des performances tout aussi bonnes que celles ces étudiants notés [13].
Autre objection : certains arguent parfois que les étudiants doivent être notés parce que les universités l’exigent. On peut répondre que « les lycées n’ont aucune responsabilité ni obligation à assumer à leur place une quelconque fonction de tri », d’autant plus si ce processus nuit à l’apprentissage [14]. Mais, dans tous les cas, cet argument est erroné : la notation n’est pas obligatoire pour être admis au sein d’une université.
Réussir le changement
Un de mes amis dit souvent que les gens ne résistent pas au changement, mais qu’ils résistent à être changés de l’extérieur. Même les idées géniales (comme passer d’une école centrée sur la notation à une école centrée sur l’apprentissage) sont assurément autodestructrices si elles sont purement et simplement imposées aux individus. La première étape consiste donc à entamer une conversation - jusqu’à , peut-être, passer une année entière à encourager les personnes à penser et à discuter des effets et des alternatives à la notation traditionnelle. Cela peut se passer dans les classes, où les enseignants peuvent favoriser la discussion à propos de la façon dont les étudiants considèrent la notation. Cela peut tout aussi bien se produire lors des réunions de parents ou par le biais d’un site internet, en s’appuyant sur des livres, des articles, des conférenciers, des films qui traitent de la question. On peut aussi aller visiter des écoles qui ont déjà entamé cette transition.
La procédure de suppression de la notation peut se faire en étapes. Par exemple, un lycée pourrait commencer par libérer de la note les classes inférieures puis faire de même pour les classes accueillant des élèves plus âgés (Même une école qui n’irait jamais au-delà de cette première étape rendrait un service considérable aux élèves en leur offrant une année supplémentaire pendant laquelle ils pourraient davantage penser à ce qu’ils sont en train d’apprendre qu’à leur moyenne).
Une autre façon de changer progressivement est de commencer par éliminer les pratiques les plus pernicieuses, comme la “notation gaussienne” ou le classement des élèves. Bien que les grades, en eux mêmes, soient conservés pendant une période, on enverrait malgré tout le message que tous peuvent réussir brillamment et que le but n’est pas de battre les autres.
Quiconque ayant entendu le terme d’“évaluation authentique” sait que l’abolition de la notation ne signifie au aucun cas l’élimination de la collecte des informations à propos des performances des élèves ni leur communication aux parents. Au contraire, la suppression de la notation ouvre la voie à de nouveaux dispositifs d’évaluation qui sont beaucoup plus significatifs et constructifs. Il peut s’agir, notamment, de commentaires écrits, de portfolios (collections d’écrits et de projets des étudiants qui sont choisis avec soin et qui montrent leurs intérêts, leurs réalisations et leur progression au cours du temps), de conférences menées par les élèves et réunissant les parents et les enseignants, d’expositions ou de tout autre occasion pour les élèves de montrer ce qu’ils savent faire.
Bien entendu, il est plus difficile pour un professeur de réaliser ce genre de choses s’il a 150 étudiants voire plus et qu’il ne les voit que 45-55 minutes par jour. Mais ce n’est pas un argument pour continuer à pratiquer la notation traditionnelle ; c’est un argument pour mettre en doute ces vestiges archaïques d’une école semblable à une usine, qui comporte des aspects négatifs qui dépassent largement la question de la motivation. C’est un argument qui pousse à s’intéresser de plus près à l’organisation horaire de l’école, à l’enseignement en équipe éducative, à l’interdisciplinarité ; c’est l’occasion d’en apprendre davantage sur les écoles qui ont arrangé les choses de manière à ce que chaque professeur puisse passer davantage de temps avec un nombre plus restreint d’étudiants [15].
Les enseignants devraient être préparés à répondre aux préoccupations des parents, dont certaines sont tout à fait compréhensibles, quant à la perspective de se séparer de la notation. « Ne valorisez-vous pas l’excellence ? » Bien sûr que si, et voilà la preuve que la notation nuit à l’excellence. « Vous essayez simplement d’épargner la confiance en eux des étudiants qui ne réalisent pas de bonnes performances ? » Nous sommes préoccupés par le fait que la notation aggrave les choses pour ces étudiants-là , certainement, mais le problème n’est pas seulement que certains enfants n’obtiennent pas de “A” et s’en trouvent blessés dans leur amour propre. Le véritable problème est que presque tous les enfants (y compris les vôtres) en viendront à se focaliser sur les notes et que leurs apprentissages en souffriront.
Si les parents s’inquiètent du fait que la notation était leur seule fenêtre ouverte sur l’école, il nous est nécessaire de leur assurer que les évaluations alternatives leur donneront une bien meilleure vision de ce qui se passe à l’école. Mais si les parents ne semblent pas se soucier d’une évaluation qui leur transmette des informations plus utiles ou qui aide leurs enfants à devenir des apprenants plus enthousiastes - s’ils exigent des notes pour connaitre le rang de leur enfant dans la hiérarchie de la classe, alors nous devons nous engager dans une discussion à propos de la légitimité d’un tel objectif, nous devons déterminer si l’école existe pour favoriser la compétition ou pour aider chacun à apprendre [16].
Par-dessus tout, nous devons veiller à ce que les objections et les préoccupations au sujet des détails ne masquent pas le message principal : le fait qu’il soit démontré que la notation cause des dommages au niveau de la qualité de l’apprentissage des élèves et de leur intérêt à explorer des idées.
Les gestionnaires des lycées ont le pouvoir d’améliorer les choses en soutenant activement les efforts visant à éliminer la notation dans les écoles primaires et les collèges. Travailler avec leurs collègues des écoles primaires et des collèges peut aider à ouvrir la voie à de tels changements au niveau des lycées.
Entretemps ...
Il y a enfin la question de savoir ce que peuvent faire les enseignants tant qu’on requiert d’eux qu’ils notent leurs élèves. Une courte réponse est de leur dire qu’ils devraient faire tout ce qu’ils peuvent pour rendre les notes aussi invisibles que possible et ce, le plus longtemps possible. Aider les élèves à oublier la notation est le meilleur conseil que l’on peut donner pour créer une classe centrée sur les apprentissages et non sur les notes.
Quand j’enseignais au lycée, j’ai fait un grand nombre de choses que je regrette aujourd’hui. Mais une façon de faire qui me semble encore raisonnable actuellement consiste à dire aux étudiants, dès le premier jour d’école, et alors que j’étais obligé de leur attribuer une note à la fin du trimestre, que cela me poserait un problème de conscience que d’attribuer une lettre ou un nombre à ce qu’il ferait durant le trimestre - et que je ne le ferais donc pas. Je leur écrirais cependant des commentaires ou, mieux, je m’assiérais à côté d’eux et discuterais avec eux aussi souvent que possible afin de leur fournir des feed-back.
Dans ce lycée, j’étais fréquemment confronté à des étudiants qui étaient préparés en vue de leur admission à Harvard depuis leur plus tendre enfance - une procédure que j’en étais venu à appeler “Préparation H” . Je savais que mon refus de noter leurs apprentissages pourrait simplement amener certains étudiants à s’inquiéter d’autant plus pour leurs notes ou créerait un suspense à propos de ce qui apparaitrait en fin de compte sur leur bulletin scolaire, ce qui entrait en contradiction avec mon objectif. Alors je leur disais que celui qui voulait absolument savoir ce que valait un travail pourrait venir me voir et que nous le “calculerions” ensemble. Une chose incroyable s’est produite : plus le temps passait, moins il y avait d’étudiants qui ressentaient le besoin de venir me questionner à propos de la notation. Ils commençaient à être plus impliqués dans leurs apprentissages parce que j’avais pris la responsabilité en tant qu’enseignant de cesser de leur envoyer des notes au visage à chaque fois qu’ils terminaient un travail.
Ce que je ne faisais pas très bien ou pas suffisamment, cependant, c’était d’impliquer les étudiants dans la recherche des critères qui déterminaient l’excellence d’une production (ce qui fait qu’une solution mathématique est élégante, qu’une expérience est bien conçue, qu’un essai est convaincant, qu’un récit est captivant) et de les mettre en situation de juger de la mesure dans laquelle leurs réalisations rencontraient les critères déterminés. Je crains de m’être contenté trop souvent de définir unilatéralement les critères et de juger seul des efforts réalisés par les étudiants. Mais j’ai vu des professeurs qui étaient plus disposés à renoncer au contrôle et plus engagés à aider les élèves à participer à l’évaluation, de manière à ce que celle-ci soit constitutive du processus d’apprentissage. Les enseignants qui travaillent avec leurs étudiants à la conception de solides alternatives à la notation disposent déjà d’une solution de rechange qui leur sera bien utile au moment où l’école se libèrera de la notation. Et ils sont capables, entretemps, de minimiser les effets négatifs des notes.
Alfie Kohn
Alfie Kohn est un éminent conférencier et auteur américain qui intervient dans les champs de l’éducation, de la psychologie et de la parentalité. Il a été décrit par le “TIME Magazine” comme le critique américain ayant le plus franchement dénoncé la notation et la compétition à l’école. Alfie Kohn est également reconnu pour ses travaux dénonçant l’illusion qui entoure les devoirs à domicile et les tests standardisés. Il intervient régulièrement dans les universités, les écoles, les associations de parents, ...
Vers le site d’Alfie Kohn
Vers l’article original (en anglais)
– Traduction de l’article "From Degrading To De-Grading" par panote (www.panote.org)
– Copyright 1999 by Alfie Kohn. Reprinted from High School Magazine with the author’s permission. For more information, please see www.alfiekohn.org.