Il n’y a ni notes ni classement dans nos écoles. Et vous regrettez le temps o͹ vos enfants vous revenaient, le soir, avec, en mains, leur tableau de chasse :
« J’ai eu trois bons points ! » ... « J’ai gagné deux places... » Mais le “mauvais écolier” , celui qui n’a pas de bon point, ou qui a reculé au classement - et il faut bien qu’il y en ait qui reculent si d’autres avancent - celui-lÍ se cache, dépité et honteux, ou se vante, ou ment, tout comme le chasseur qui s’en revient bredouille de sa randonnée.
Vous dites qu’il faut de l’émulation, et nous le pensons avec vous. Mais pour qui joue cette émulation, et qui en est victime ? Pour deux ou trois têtes de classes orgueilleux de leur victoire, combien de pauvres enfants découragés de leurs échecs s’en iront rejoindre la grande armée des cancres qui réagiront Í leur façon contre la position inférieure o͹ vous les aurez rejetés !
Il y a mieux Í faire et nous nous y essayons.
Les notes et les classements sont établis avec une fausse mesure. Ce n’est pas parce que votre enfant était parmi les derniers qu’il doit être condamné. Il nous suffira parfois de découvrir ses aptitudes et ses vraies lignes d’intérêt pour lui redonner confiance et préparer un bon départ.
Les notes et les classements sont injustes. Ils récompensent le “bon élève” qui réussit sans effort et punissent, découragent, le travailleur acharné qui n’a pas bonne mémoire ou qui s’intéresse Í des activités que l’École juge superflues.
Nous voulons, nous, que chaque enfant puisse avoir sa part de réussite et de succès.
Les notes et les classements sont dangereux. Ils apportent dans notre école une atmosphère immorale de mauvaise compétition, de tricherie, de marchandage et de jalousie.
Nous vous dirons comment, sans rien négliger de tout ce qui peut encourager l’effort, nous nous appliquons Í faire de notre classe une grande communauté de travail o͹ chacun peut, Í quelque moment, prendre la tête du peloton.
Et le travail intelligent porte en lui-même sa récompense.
Célestin Freinet
Extrait de ...
Freinet C., Appel aux parents, Paris, Bibliothèque de l’école moderne, 1969