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Pour l’abolition de la note scolaire
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Pan à la note ! Panote ...

 Pourquoi les professeurs mettent-ils des notes à leurs élèves ?

 Pourquoi, alors qu’aucun texte légal ne leur en fait une obligation, qu’ils ne risquent donc pas de sanctions pécuniaires s’ils s’en défont ?

 Pourquoi, alors que la note ne fait pas apprendre et qu’elle fait perdre du temps ?

 Pourquoi, alors que les parents ne peuvent rien faire avec le verdict (… votre fille a 5 – ou elle a 15 - sur 20 en chimie) puisqu’ils ignorent comment le professeur est passé d’une analyse multidimensionnelle de la prestation à une note unidimensionnelle ?

 Pourquoi, alors qu’en outre, les parents ignorent comment le professeur a fait apprendre en amont, ou le professeur a appris à noter, ce qui l’anime ? Quels paramètres relationnels entrent en jeu dans ce jeu unilatéral ?

 Pourquoi noter, enfin, alors que professeurs et parents ignorent les ressorts psychiques de l’élève soumis au questionnement ?

Charles Pepinster

Les mots révélateurs de l’École sélective
Paru dans la revue "FOEVEN"
Article mis en ligne le 26 septembre 2008
dernière modification le 21 juillet 2009

Le métier d’élève est assigné aux enfants et aux adolescents comme un métier statuaire, Í la manière dont un adulte est mobilisé par l’État dans un jury ou une armée. Juridiquement, le travail scolaire est plus proche des travaux forcés que de la profession librement choisie.
Philippe Perrenoud (1994)

Je me souviens qu’Í cette lecture mon “moi” d’enseignante avait été ébranlé. Dans un premier temps, j’avais eu tendance Í refuser cette manière de voir l’enfant scolarisé, Í refuser aussi le concept même de “métier d’élève” . Pour moi, en tant qu’enseignante et parent, les enfants venaient vivre Í l’école une partie de leur jeunesse pour entrer dans la culture et se préparer Í vivre dans une société démocratique. Et voilÍ que cette analyse du “métier d’élève” venait me troubler…

Quand les mots révèlent l’aberration d’une École sélective

Le concept de métier d’élève représente une précieuse grille d’analyse de la réalité scolaire. Pour nous rappeler déjÍ , comme le fait le sociologue Philippe Perrenoud, qu’il est un des métiers les moins librement choisis. Pour nous permettre de voir et mieux comprendre ce que les contraintes et les normes rattachées Í l’obligation d’être lÍ produisent : les mille et une stratégies de fuite développées par les élèves pour survivre dans ce métier imposé. Les buts sociaux et culturels de l’École peuvent alors être mieux expliqués aux enfants. Mais l’analyse devient dérangeante, voire révoltante, pour qui pense que l’école ne fait qu’instruire. Parce que mettre la loupe sur le métier d’élève nous fait prendre conscience des perversions et des dérives d’une École devenue obligatoire, déclarée officiellement formatrice pour tous, mais servant en réalité une sélection précoce en excluant très tÍ´t certains enfants des meilleurs places sociales.
Certains mots ou silences d’enfants parlent de cette menace d’exclusion se mêlant sans cesse Í la formation. Et disent les dégÍ¢ts que la sélection fait Í la formation.

Bof… j’suis nul

 Censés apprendre, certains enfants mettent l’essentiel de leur intelligence Í monnayer leurs savoirs, gérer leur moyenne (« Plus besoin de travailler, j’ai déjÍ ma moyenne ! »). Parfois ils s’empressent d’oublier les acquis une fois évalués (« ça, je devais juste le savoir pour la semaine dernière… »).
 Pantins dont les ficelles sont les notes mises au service de la sélection, de nombreux enfants construisent non-sens, pas de sens, ou contresens au travail scolaire (voir les fameux problèmes dits “de l’Í¢ge du capitaine” ou entendre cette question : « Mon addition, j’dois la faire au présent ou Í l’imparfait ? »).
 A force d’être dévalués, écrasés par une discipline, des enfants deviennent apathiques ou révoltés. Ainsi, Xavier ne dit plus un mot en classe… enfin si… de temps en temps il prononce un « bof » ou « j’ai pas envie ». Manu, fatigué Í tout heure, nous explique : « Moi j’ai redoublé, alors j’ai peur qu’on s’ moque de moi ». Léa jure comme un charretier, injurie ses profs. Ces enfants dévalués finissent souvent, après quelques résistances, par trouver normal de l’être, parce qu’ils s’attribuent l’entière responsabilité de leur échec, se pensent définitivement bêtes, « J’suis nul » disent-ils. « Nul en math », « Nul en français », « Moi ? j’suis nul en tout, partout », « Le dessin ? Pas pour moi ! ». Ils ne voient pas que l’échec scolaire est un échec de l’École.
 Des enfants, par peur de l’échec, s’excluent des situations d’apprentissage. En se faisant tout petits pour qu’on les oublie, en trichant pour ne pas montrer leurs erreurs, en faisant croire qu’ils savent tout. Certains finissent par ne plus rien risquer face Í l’apprentissage. Recevoir une mauvaise note ou une appréciation dégradante est bien plus douloureux quand on a travaillé corps et Í¢me, que quand on n’a rien fait. On peut alors entendre des élèves dire haut et fort « Je m’en fous de l’école » ou « Je n’ai pas travaillé pour ce test, cet examen », « J’ai joué toute la nuit Í mon jeu vidéo », alors qu’ils ont trimé fort. Mais dire ces mots dévalorisant leur image d’élève, c’est prendre un moindre risque face Í leur image de soi d’enfant qu’ils protègent.
 Quand l’image de soi des enfants finit par être affaiblie par des échecs scolaires continuels, au fil des mauvaises notes et appréciations reçues, pour se prouver qu’ils existent, qu’ils peuvent “faire des choses” , les enfants sont conduits aux stratégies du pauvre. Dans le meilleur des cas, ils foncent dans une seule discipline ou un seul art, plus ou moins valorisé Í l’école et se trouve ainsi un groupe d’appartenance qui leur permet d’exister, d’être admiré, reconnu. Dans des cas plus fréquents, ils se contentent de “coups” plus ou moins remarquables : faire bruyamment le clown pour faire rire, déclencher une bagarre en hurlant, interpeller vulgairement l’enseignant. Mais le besoin d’appartenir Í un groupe, d’exister avec d’autres, peut aussi aboutir Í rechercher des situations pénibles pour soi-même : être le bouc émissaire de la classe ou le souffre-douleur d’un seul camarade. Se laisser dire des mots. N’importe quels mots. Sans mots et maux dire.
 Quand l’ensemble de ses travaux d’élève finit par dévaloriser l’enfant Í ses propres yeux, celui-ci peut être conduit Í se réfugier, dans l’école ou en dehors de celle-ci, dans des clans, des bandes qui lui permettent d’exister, d’être relié Í d’autres, de se sentir reconnu comme un parmi les autres, d’être acteur et non spectateur d’une vie sociale scolaire qui ne le reconnaÍ®t que comme être manquant. Alors il dit les mots de son groupe. Parle verlan ou s’invente avec eux un parler “jeune” , des mots-durs-poésies. Rien que pour eux. À dire contre ceux qui leur ont fait croire qu’ils étaient nuls pour communiquer. L’adolescent peut alors être amené Í exister en taguant des mots. Des mots zigzags tracés en très grands. Des mots nuages, qui sont ses propres maux. Des mots qui disent que la société par son École, jour après jour, l’a obligé Í être lÍ pour entendre Í travers des chiffres et des mots qu’il n’était pas fait pour y être et y demeurer.

Les mots dits par l’École aux parents

Les effets du couplage de la formation et de la sélection sur l’exercice du métier d’élève, atteignent évidemment le métier d’enseignant et celui de parent d’élève.
 Certains parents attribuent ainsi plus d’importance aux résultats des évaluations officielles, aux notes et mots justifiant l’injuste évaluation sélective qu’Í la maÍ®trise durable des connaissances, et admettent que leurs enfants se retrouvent dans des vies déterminées par les mots dits par l’école. Les mots adjectivant, catégorisant. Qualifiant mais aussi déqualifiant. Excluant. Marginalisant.
 Les familles dont les enfants sont les futurs exclus des bonnes places sociales, intériorisent très tÍ´t la conviction subjective qu’ils sont eux-mêmes responsables de leur échec puisque celui-ci est justifié par la manière de leur enfant d’exercer son métier d’élève : il n’écoute pas, est inattentif, paresseux, fuit la tÍ¢che. C’est son échec. L’école le leur dit : votre enfant décroche. Un mot qui cache la vérité : il a été décroché. Largué.

Quant Í la transmission de la culture elle est perdante, elle aussi, puisque pour de nombreux élèves, les savoirs ne se transforment jamais en plus-value d’être, parce que l’exercice du métier d’élève dans une école sélective prend d’abord la signification de couperet. Le savoir traité Í travers les tÍ¢ches prescrites peut alors perdre toutes ses significations sociales pour ne conserver que le sens de son utilité scolaire. Le savoir devient objet Í acquérir pour ne pas avoir de mauvaises notes, ne jamais recevoir de mauvais mots dits. Pauvre pouvoir que cette culture-lÍ .
Des enseignants compétents s’épuisent Í donner Í l’école, au travail scolaire, aux savoirs, aux disciplines, un sens que l’obligation d’évaluer de manière sélective finit toujours par pervertir. La sélection détruit ainsi les meilleures intentions pédagogiques, parce qu’elle influe fortement la manière des élèves d’habiter leur métier d’élève et du même coup leur rapport au savoir scolaire.

Faire parler les enfants de leur métier d’élève

Écoutons les enfants aux prises avec leur métier d’élève. Ils sont les mieux placés pour nous faire comprendre l’injustice et l’incohérence d’une école servant la mission d’instruire, mais n’ayant pas rompu avec la sélection. Les enfants parlent de ce que la sélection fait Í leur formation. De manière plus ou moins directe. Écoutons-les. En pensant que rien n’oblige une démocratie de faire de la période d’instruction obligatoire un lieu de tri social précoce. Et en se demandant : Í qui profite le crime ?

Pour aller plus loin ...

Perrenoud P., Métier d’élève et sens du travail scolaire, Paris, ESF, 1994

Étiennette Vellas

 Chargée d’enseignement Í l’Université de Genève (Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation)
 Membre du Groupe Romand d’Éducation Nouvelle (GREN)

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