Mauvaise excuse de potache ? Pas du tout. Conclusion de nombreux chercheurs. Et cela ne date pas d’aujourd’hui : « Dès les années 1920, les docimologues ont mis en évidence le manque de fiabilité des notes, leur caractère souvent arbitraire », dit Sylvène Kitabgi, qui vient de réaliser une étude sur cette question pour la chambre de commerce de Paris. Même s’ils ont Í cœur d’être impartiaux, les enseignants sont, Í leur insu, influencés par toutes sortes de choses. Le niveau de la classe, le sexe de l’élève, son origine sociale ou encore... l’ordre de correction des copies. Sans parler de l’effet bien connu du niveau de l’établissement. Les plus élitistes mettant un point d’honneur Í être particulièrement secs. C’est si vrai qu’Í Paris le rectorat « pondère » selon les collèges les notes prises en compte pour affecter les élèves dans tel ou tel lycée...
« Ces biais ont été démontrés par des études scientifiques très sérieuses, mais on fait toujours comme s’ils n’existaient pas ! On ne change rien au système », constate la spécialiste. Bruno Suchaut, directeur de l’Institut de Recherche sur l’Éducation, confirme : « Cette façon d’évaluer les connaissances des élèves est aléatoire et biaisée de multiples façons. Les spécialistes le savent depuis longtemps, mais pas le grand public. Cela reste tabou. » Ce chercheur parle d’expérience. En 2008, il met discrètement en ligne une étude intitulée : la loterie des notes au bac. Celle-ci montre qu’une même copie du bac soumise Í trente correcteurs peut voir son score varier de dix points. Et elle fait aussitÍ´t scandale. « J’ai été très surpris ! dit son auteur. Il s’agissait juste d’une illustration très banale de faits déjÍ mis en évidence par de nombreux travaux. » Notamment une étude qui remonte Í 1962 et qui concluait que, pour obtenir une note « juste » aux épreuves du bac, il faudrait faire la moyenne de celles données par 13 correcteurs en maths, 78 en français et 127 en philo... Plus grave : ces notes si peu fiables que nous pratiquons sans rien y changer ou presque depuis 1880 sont le pilier même de l’orientation. « C’est absurde, on décide du devenir de jeunes en s’ appuyant sur un outil obsolète, peu fiable, au lieu de s’intéresser Í leurs différentes compétences, aptitudes, aspirations. Il s’agit juste de les trier », regrette Michèle Dain, directrice du Biop, le centre d’orientation de la chambre de commerce de Paris. Ce centre reçoit chaque année plus d’un millier de jeunes, premiers de classe ou exclus de l’école. Michèle Dain est frappée par leur désarroi grandissant : « On parle beaucoup du stress des salariés, de la souffrance au travail, de harcèlement, mais on ne réalise pas que tout cela existe plus encore Í l’école. » En cause notamment ces contrÍ´les « Í l’ancienne », inefficaces, qui « ne donnent pas aux élèves des outils pour progresser », étroits dans les compétences évaluées et, de surcroÍ®t, bien plus fréquents chez nous que chez nos voisins. Dans certains pays - Finlande, Suisse, Danemark, mais oui, c’est possible ! -, on se passe tout simplement de notes !