Dans une classe, il y a généralement un tiers de bonnes notes, un tiers de notes moyennes et un tiers de mauvaises notes. Si je réunis les élèves ayant de bonnes notes de trois classes dans une seule classe, je retrouve, au bout de quelques mois, la même distribution. Si je continue Í réunir, Í nouveau, ceux qui ont les bonnes notes, je retrouve encore la même distribution… Cette “constante macabre” [3] d’un tiers
permanent de mauvaises notes suscite bien des débats. Pour beaucoup (enseignants, parents, élèves, administrateurs…), dans une classe o͹ il n’y a que des bonnes notes, le prof ne fait pas bien son travail… Pour quelques-uns [4], il ne s’agit pas d’être laxiste ou démagogique, mais de donner Í chacun les moyens d’être “bon” . On peut, sans doute, toujours améliorer le système de notation [5].
Bonne ou mauvaise, la vraie question de la notation n’est pas lÍ . La notation, quelle qu’elle soit, en lettres ou en chiffres, par un autre – qui que soit cet autre – ou bien par moi-même, “bonne/élevée” ou “mauvaise/basse” … fait, au fond, dépendre mon estime de moi de l’accumulation de résultats quantitatifs externes (comme, par exemple, du poste occupé ou du montant du salaire). Ce qui fait qu’en économie, dans la finance, en politique, dans l’administration, dans l’entreprise… aboutissent, Í des postes-clés et avec les plus hauts salaires, les “pires” personnes pourvues des “meilleures” notes. C’est le résultat direct du système même de noter, en vigueur Í l’école, Í la maison ou dans la société [6].
En quoi, ce “besoin” de noter est-il réel, authentique ? Que recouvre-t-il ? Puis-je vivre sans noter les autres (ou sans me “noter” ) ? Qu’est-ce qui m’en empêche ? Que serait ma/la vie sans être noté ou sans noter ? Sans dépendre d’un résultat ?
Mon amour – celui que je donne – est-il lié, plus ou moins consciemment, Í une attente, Í des résultats ? Ou en est-il distinct ? Est-il inconditionnel ? L’amour que je reçois, est-il lié Í mes résultats, Í ce que j’ai, Í ce que je sais, Í ce que je fais… ? Je peux choisir d’aimer mon enfant, mon partenaire, mon ami(e), mes rencontres… indépendamment de leurs “résultats” . Je peux choisir de ne pas être sensible aux appréciations vis-Í -vis de mes résultats, mais au seul bonheur d’avoir apporté ma contribution, d’avoir fait ma part [7]. Dois-je laisser dépendre mon humeur et mon bien-être de l’opinion
des autres ?
Je ne dépends plus des notes – de celles que je reçois comme de celles que je donne (en fait : que je cesse de donner) [8].
Jean-Pierre Lepri
N.B. [9] : C’est bien noté ?
L’interview de Ken Blanchard qui a inspiré ce texte est disponible sur demande au CREA (Cercle de réflexion pour une éducation authentique), réf « BBN », 2 p.