Kalle et Martin, élèves finlandais, viennent de vivre trois ans de scolarité en France. A leur retour en Finlande ils s’entretiennent avec une chercheuse, Päivi SIHVONEN (PS), sur leur métier d’élève pratiqué en France et en Finlande. Kalle P. (KP) est un collégien de 13 ans ; Martin L. (ML) est aussi collégien, il a 14 ans.
Leur comparaison est passionnante. Elle nous permet de faire l’hypothèse que la réussite de l’École finlandaise tient peut-être Í des conditions d’exercice du métier d’élève que nous pourrions mettre en place. Soit qu’elles ne sont pas des spécificités si culturelles que ce qu’on veut bien le dire parfois.
KP : Je suis parti en France avec ma famille quand j’avais 10 ans, c’était en été 2001.
ML : Moi aussi, j’avais dix ans. J’ai commencé en janvier 2001 en CM2. Mais j’avais déjÍ été dans une école française avant, en maternelle et en CP, de trois Í sept ans Í peu près.
Exercer son métier d’élève en tant qu’étranger … pas facile
PS : Vous étiez dans des situations différentes en ce qui concerne la langue française. Martin, tu parlais déjÍ bien le français, puisque, en plus de ton précédent séjour, tu avais aussi été en Finlande dans une école o͹ une partie de l’enseignement se fait en français. Kalle, toi par contre, tu avais seulement quelques notions de français en arrivant en France. Quels souvenirs gardez-vous de vos débuts Í l’école en France ?
KP : Je me rappelle seulement que maman m’accompagnait et que je ne comprenais rien Í ce que les gens disaient. J’ai passé d’abord un an dans une classe d’initiation (CLIN) parce qu’il fallait que j’apprenne le français. Dans le groupe, il y avait des élèves très différents. Il y en avait qui venaient d’Afrique, d’autres d’Asie, j’étais le seul Européen. Quelques-uns avaient trois ans de moins que moi, il y en avait qui ne savaient pas écrire du tout, d’autres qui parlaient déjÍ un peu... On n’a pas travaillé vraiment les différentes matières. Après l’année en CLIN, je suis entré au collège dans une classe ordinaire.
ML : C’est vrai que je maÍ®trisais déjÍ assez bien la langue, mais je me souviens que les cours n’étaient pas toujours faciles Í suivre. Le plus difficile, c’étaient les cours de français. Le professeur parlait de la grammaire et utilisait des mots et des termes que je ne connaissais pas du tout. À l’école en Finlande, on n’avait pas encore fait tellement de grammaire. Mais après la première année, il n’y a plus eu de problèmes.
PS : Kalle, comment ça s’est passé au collège pour toi ?
KP : Au départ, ça a été vraiment très dur. J’avais appris Í parler français mais je ne connaissais pas la grammaire du tout. En CLIN, on n’avait fait que des trucs vraiment élémentaires.
PS : Vous avez tous les deux mentionné la grammaire. C’est donc quelque chose qui vous a marqué. Pourquoi ? En principe, vous aviez déjÍ eu des cours o͹ on en parlait en Finlande, au moins pour votre langue maternelle, le finnois.
ML : La grammaire est la seule matière qui a été vraiment difficile pour moi. C’est que la façon d’enseigner n’était pas du tout la même. En Finlande, on n’avait pas appris la grammaire française vraiment ; je parlais, c’est tout. Je ne savais pas encore bien écrire – pour un Finlandais, c’est difficile d’apprendre Í écrire en français.
KP : Moi, j’avais des problèmes pratiquement dans toutes les matières ! D’abord, j’avais encore un peu de mal Í m’exprimer en français, surtout par écrit, et Í tout comprendre. En plus, on n’avait pas fait grand-chose en CLIN, c’était comme s’il me manquait une année de cours dans toutes les matières. J’avais donc un an de retard par rapport aux autres élèves de ma classe et ça me posait des problèmes tout le temps.
PS : Quelle a été l’attitude des enseignants envers vous ?
ML : En CM2, j’étais le seul étranger. Quelques profs me donnaient en partie des exercices différents de ceux que faisaient les autres parce qu’ils savaient que je n’avais pas les mêmes connaissances que les élèves français. Après, je n’avais plus besoin de tellement de soutien. Au collège, il y avait plusieurs étrangers dans ma classe, mais on parlait tous déjÍ bien le français.
KP : En CLIN, il n’y avait bien sÍ »r que des étrangers. Ensuite, au collège, dans ma classe, on était plusieurs Í ne pas être français. Même si beaucoup connaissaient bien le français, ils avaient d’autres problèmes et ça n’allait pas. En sixième, les profs ne faisaient rien de spécial pour moi, j’avais quelques cours de soutien. Mais j’ai pu suivre les cours et participer au travail normalement assez vite.
PS : Vos parents vous aidaient pour le travail scolaire ?
ML : Parfois, bien sÍ »r, mais pas spécialement.
KP : Au départ, maman m’a aidé, surtout pour la langue. Je lui demandais de corriger ce que j’avais écrit pour ne pas avoir une trop mauvaise note uniquement Í cause de la langue.
PS : Aviez-vous une matière que vous aimiez plus que les autres ?
ML : Je ne sais pas... la première année, j’ai aimé surtout la physique et la chimie. On avait une prof très sympa. Mais ensuite on a eu un autre prof et c’est devenu les cours les plus désagréables.
PS : Qu’est-ce qui a fait que la première enseignante paraissait sympathique ?
ML : Elle était assez sévère, mais elle faisait de bon cours et puis elle était sympathique comme personne. Le suivant était sarcastique, avant les cours on avait tous un peu peur, on se demandait Í qui il allait s’en prendre ce jour-lÍ .
KP : Mes matières préférées (en France), c’étaient l’histoire et la géographie. Le prof était très bien et puis j’ai développé une façon de travailler qui m’a permis d’apprendre facilement, j’arrivais Í retenir plein de choses tout simplement en écoutant le prof qui expliquait bien les choses pendant les cours.
PS : Avez-vous remarqué des différences dans les disciplines étudiées ?
ML : Ici, il y a des matières optionnelles, en France on n’en avait pas. C’est bien d’en avoir parce que chacun peut suivre des cours qu’il a choisis en se disant que ça allait être intéressant. Moi, par exemple, j’ai choisi le monde des médias, les jeux de raquette et l’anglais et je suis très content.
KP : Je n’ai pas de matières optionnelles cette année puisque je suis en classe 7, mais pour l’année prochaine j’ai choisi les jeux de balle, la photo et le tirage photo et un cours qui s’appelle “expériences amusantes” , C’est de la physique et de la chimie, je pense.
Apprendre “en faisant” et sans avoir des tonnes devoirs
PS : D’après vous, est-ce que les professeurs enseignent de la même façon dans les deux pays ?
KP : Non, il y a des différences. En France, par exemple, il faut apprendre les choses par cœur. Je trouve ça idiot. On oublie tout dès qu’on passe Í la chose suivante. Ici, on apprend plus en faisant, on est actifs et on peut choisir sa façon d’apprendre.
PS : Qu’est-ce qui a été l’expérience la plus agréable Í l’école ? Et quel est votre souvenir le plus désagréable ?
ML : Un des bons souvenirs, c’est le voyage en Angleterre que ma classe a fait. On a habité dans des familles anglaises et il y a eu des situations très drÍ´les ! CÍ´té négatif, j’ai trouvé les journées très longues. En Finlande, on était habitués Í sortir de l’école vers 14 h, en France c’était plutÍ´t 17 h, parfois même plus tard. Et en plus il y avait des devoirs Í faire Í la maison !
KP : Moi aussi, c’était quelque chose Í quoi je n’avais pas pensé, les journées étaient tellement longues qu’on n’avait plus le temps de faire autre chose. Mais je me rappelle aussi quelque chose qui m’a fait plaisir. En cinquième, Í un moment maman a discuté avec un de mes profs. C’était au bout de quelques mois de cours. Le prof lui a dit qu’il venait seulement d’apprendre que je n’étais en France que depuis deux ans. Il trouvait qu’on ne remarquait pas de différence entre moi et mes camarades de classe, mes notes étaient aussi bonnes que celles des autres et je parlais bien le français. J’ai été vraiment content !
L’atmosphère est plus sympa en Finlande
PS : Depuis quelques mois, vous êtes donc Í nouveau Í l’école en Finlande. Voyez-vous des différences entre les deux systèmes ?
ML : Il faut vouvoyer les professeurs en France, il faut dire Monsieur ou Madame. En Finlande, on peut tutoyer presque tous les profs ; du coup il y a moins de distance entre eux et nous, les profs paraissent plus proches des élèves et l’atmosphère est plus sympa.
PS : Mais dans ce cas, les enseignants finlandais ont-ils assez d’autorité en classe ? Est-ce qu’ils arrivent Í vous faire travailler ?
KP : En fait, quand un prof est sympa, on a envie de travailler bien, même si on n’aime pas la matière qu’il enseigne. L’ambiance en classe et Í l’école en général est plus détendue ici. Et on a moins de devoirs Í faire Í la maison.
On travaille trop en France
ML : En France, il y en avait beaucoup comparé Í ce que les profs nous donnent ici. À chaque fois qu’il y avait un pont ou un week-end un peu prolongé, les profs doublaient la quantité des devoirs ! C’était comme s’ils ne voulaient pas qu’on puisse faire un peu autre chose que travailler pour nos études.
PS : Mais s’il y a peu ou pas de devoirs du tout, peut-on apprendre quelque chose ? Ne pensez-vous pas qu’on apprend plus et mieux en France parce qu’on doit revoir les leçons Í la maison et qu’on ait des exercices Í faire ?
ML : Moi, j’ai l’impression d’apprendre tout Í fait suffisamment ici ! En France, en fait on avait en cinquième une matière qui s’appelait Itinéraires de découverte et qui donnait beaucoup de travail. On devait écrire un texte sur chaque pays dont la langue était parlée dans mon école. Une semaine sur deux, il fallait préparer un exposé de dix Í quinze pages. À la fin, il fallait rendre tous les textes et le prof les évaluait.
Il faudrait changer l’attitude des profs … par exemple
PS : Y a-t-il quelque chose qu’il faudrait Í votre avis absolument modifier dans le système scolaire français ou dans le système finlandais ?
KP : Je ne sais pas... en France il y aurait tellement de choses Í changer... Par exemple, certains profs devraient modifier leur attitude envers les élèves. En Finlande, je ne sais pas trop ...
ML : Moi aussi, je pense qu’il faudrait surtout que pas mal de profs changent leur comportement envers les élèves. Une fois par exemple un de mes profs s’est mis Í hurler et Í menacer de me donner une mauvaise note parce que j’avais eu une note passable Í un contrÍ´le : « Tu verras le cadeau de Noël que je te ferai ! » Mais j’ai eu bien sÍ »r aussi de très bons profs. Pour la Finlande, je ne peux rien dire parce que je viens seulement de reprendre les études ici.
En Finlande il n’y pas cette compétition permanente
PS : Avant de quitter la Finlande, vous deviez vous demander ce qui vous attendait en France. Y a-t-il eu quelque chose qui vous ait surpris dans le système scolaire français ?
KP : Oui ! Pour moi, c’était la compétition et la rivalité entre les élèves. On n’arrêtait pas de comparer les notes obtenues aux contrÍ´les, les moyennes... C’était nouveau pour moi.
ML : Moi, j’ai été étonné par la hiérarchie entre les classes au collège : A était la meilleure, on y avait regroupé les élèves qui avaient eu les meilleures moyennes, et les autres classes venaient après.
PS : Seriez-vous prêts Í repartir Í l’école en France ?
KP : Moi, je ne voudrais plus partir. Il faudrait entrer en troisième et je sais que dans l’école o͹ j’étais on veut surtout préparer les élèves pour le lycée et on fait tout pour éliminer les élèves qui n’ont pas le niveau nécessaire. Dès le début du collège, le lycée est comme une obsession pour tout le monde. C’est fou ! Si un élève a une mauvaise note, le prof lui dit tout de suite qu’il ne pourra jamais rien faire d’autre que ramasser les poubelles... Ici, on est plus tranquille. Et puis, il n’y a pas cette compétition permanente entre les élèves comme dans ma classe en France. Parfois on se demande entre copains quelle note les uns et les autres ont eue, mais c’est tout. Je trouve qu’on est mieux ici.
ML : Dans mon école, c’était la même chose, on n’arrêtait pas de nous marteler avec la nécessité de nous préparer pour le lycée. Ici, les profs ne nous en parlent pas continuellement. C’est mieux, on travaille de toute façon suffisamment. Non, je crois que je ne voudrais plus aller Í l’école en France.
Päivi SIHVONEN