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Pour l’abolition de la note scolaire
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Pan à la note ! Panote ...

 Pourquoi les professeurs mettent-ils des notes à leurs élèves ?

 Pourquoi, alors qu’aucun texte légal ne leur en fait une obligation, qu’ils ne risquent donc pas de sanctions pécuniaires s’ils s’en défont ?

 Pourquoi, alors que la note ne fait pas apprendre et qu’elle fait perdre du temps ?

 Pourquoi, alors que les parents ne peuvent rien faire avec le verdict (… votre fille a 5 – ou elle a 15 - sur 20 en chimie) puisqu’ils ignorent comment le professeur est passé d’une analyse multidimensionnelle de la prestation à une note unidimensionnelle ?

 Pourquoi, alors qu’en outre, les parents ignorent comment le professeur a fait apprendre en amont, ou le professeur a appris à noter, ce qui l’anime ? Quels paramètres relationnels entrent en jeu dans ce jeu unilatéral ?

 Pourquoi noter, enfin, alors que professeurs et parents ignorent les ressorts psychiques de l’élève soumis au questionnement ?

Charles Pepinster

Quelle cohérence entre apprentissage et évaluation ?
Vers la perception du lien unissant Education Nouvelle et chef d’œuvre pédagogique
Article mis en ligne le 19 juillet 2008
dernière modification le 13 février 2010

Ce texte commence par une démarche de formation collective. La partie
de synthèse figure en fin d’article.

A. Premier texte de travail : une cohérence

« Quand il me parlait de sa classe, je le sentais sÍ »r de lui. Cohérent.
Programme en main il préparait ses leçons au jour le jour. Il les donnait
de son mieux. Pour expliquer, il pouvait se fier Í son sens pédagogique.
Ses trouvailles faisaient merveille. Ferme avec les enfants, il n’hésitait
pourtant pas Í recourir Í l’humour pour détendre l’atmosphère lorsqu’il le fallait. S’il ne ménageait pas ses peines pour corriger tous les cahiers,
toutes les interros, pour respecter un horaire équilibré, contrÍ´ler devoirs
et leçons, il pouvait exiger - en retour – que chaque élève développe le
sens de l’effort. Tout allait bien. Ses collègues le respectaient. Sa
compétence professionnelle était reconnue. Ses avis faisaient autorité.

Toutefois quelques élèves médiocres le préoccupaient. Il pouvait
cependant compter sur les services du maÍ®tre d’adaptation. Lui-même
reprenait parfois ces élèves-lÍ en particulier, pour de nouvelles
explications, de nouvelles applications. Souvent son diagnostic était
confirmé par le psychologue scolaire. Ses tentatives d’individualisation
restaient le plus souvent mal récompensées : toute nouvelle notion était
mal assimilée par quelques enfants (toujours les mêmes). Il était bien noté, en somme. Par les élèves et leurs parents. Par son directeur. En fin de trimestre, il organisait des révisions, puis des examens. Un questionnement sérieux, avec quelques astuces pour départager les meilleurs (les “verbo-conceptuels” ) lui permettait d’observer, voire de mesurer les effets de son enseignement. La plupart des élèves avaient de bonnes notes, même les années o͹ il héritait d’une classe faible.

Oui, tout allait bien puisque ses élèves étaient, pour la plupart performants aux examens standardisés par région…et réussissaient bien dans l’enseignement secondaire général. Il persuadait facilement certains parents que la classe d’accueil permettait une entrée dans le secondaire adaptée en douceur (grÍ¢ce aux mesures d’individualisation annoncées). Il y croyait. « Chacun ayant son rythme, chacun Í son rythme ». « Selon les mérites, selon les dons exploités ». « Il n’y a pas de pire injustice que de traiter également des enfants inégaux », un sophisme auquel il croyait. Il se disait, par ailleurs, vraiment impuissant devant la carence de certaines familles imperméables Í ses
conseils, inconscientes de ses efforts, voire rétives vis-Í -vis de ses exigences. Ces familles qu’on ne voit jamais, surtout pas lors des réunions de parents. Il proposait pourtant, Í la fin de chaque trimestre, un dialogue personnalisé dont l’enfant serait le centre. Déception. Seuls les parents des bons élèves venaient écouter ses conseils, faire le point sur les progrès réalisés ou Í entreprendre. Parfois le découragement le prenait. »

B. Deuxième texte de travail : vers une autre cohérence

« Quand il me parle de sa classe, je le sens enthousiaste, admirateur des élèves. Jamais sÍ »r d’être entièrement cohérent pourtant. En
mouvement. A l’écoute. En réflexion. En actions. « D’erreurs en
erreurs
 » comme il dit. Il en a fait du chemin depuis l’École Normale.
1. Installation d’une classe coopérative avec le conseil coopératif de la
classe (lui et les élèves) pour prendre des décisions :
 « Qu’est-ce qu’on a appris ? »
 « Quelles question restent posées ? » sont les questions-clefs.
2. Aménagement du temps et de l’espace pour faire trois choses :
 Des apprentissages réussis par TOUS, sur les noyaux conceptuels denses, soit Í partir de situations de vie, soit dans des démarches d’auto-socio-construction créées pour faire chercher, des défis socio-cognitifs o͹ l’erreur d’un élève relance la recherche de tous
 Des moments culturels o͹ l’expression personnelle, le plus souvent en choix libre est développée : peinture, théÍ¢tre, musique, yoga, poésie (etc.)Í consommer, et Í produire, inventer. Des moments o͹ la place du corps, l’écoute de l’intériorité ont une grande importance.
 Des projets collectifs Í caractère habituellement social. Nous voulons sauver la planète en développant la solidarité. Lire, écrire, calculer… pour de bon.
3. Correspondance et échanges scolaires.
4. Textes émancipateurs.
5. Groupes de solidarité entre élèves dans la classe. On ne supporte
plus qu’un seul élève échoue dans un apprentissage indiqué comme
objectif ͠atteindre. Aussi, lors des recherches en groupes, le maͮtre
désigne-t-il l’élève moins compétent comme rapporteur.
6. Intégration de l’interrogation de l’élève dans le processus d’apprentissage. Si une question, posée aux élèves est bonne (c’est-Í -
dire divergente, complexe mais accessible après tÍ¢tonnement expérimental, insolite donc nouvelle dans l’attaque d’une notion déjÍ 
entrevue, formulée en termes d’action visible par tous les apprenants lors de la confrontation des hypothèses de réponses…) il serait dommage de la poser individuellement pour des points. Ce serait faire avorter une promesse d’avancée de tous les élèves - les plus compétents comme les autres – et ce serait faire vivre l’idée de « non assistance Í personne en danger » entraÍ®née par les mesures anti-copiages bien connues.
7. Démarches de conscientisation en groupes de parents Í propos de
l’acte d’apprendre :
 « Expliquer empêche d’apprendre quand il dispense de
chercher
 »
 « Quand ils échouent qu’est-ce que je change dans ma
pratique ?
 »
 Ou sur de enjeux comme la notation, les tests d’intelligence, tous les enfants sont trop doués que pour apprendre seulement le programme scolaire…
8. Comptes-rendus écrits des Conseils de Classe communiqués aux
parents.
9. Récréations sportives pour tous : davantage de matériels (balles,
cerceaux, patins, planches, briques, pneus…) qu’il n’y a d’enfants. Temps de détente doublé par rapport aux habitudes.
10. Rencontres avec des acteurs sociaux, des artistes, le monde
des prisons, témoins de l’horreur nazie.
11. Entrée des parents dans la classe pour épater les élèves, leur
apprendre…
12. Ouvertures sur l’ordinateur, les échecs, les jeux coopératifs,
les langues, les pensées des autres.
13. Centre de documentation et bibliothèque gérés avec les
parents et les enfants.
14. TÍ¢ches Í domicile au choix. Une liste d’activités possibles
s’allonge chaque jour.
15. Suppression des interros traditionnelles, des points, des
bulletins chiffrés.
16. Refus des examens externes qui poussent au bachotage et cautionnent tous les examens néfastes en amont.
J’oublie sans doute des éléments peu Í peu intégrés dans l’organisation de cette classe, mais ce qui me frappe, c’est sans doute l’abandon - quasi total – des fichiers de rattrapage individuels et des contrats de travail. « C’est inutile et vexatoire puisque celui qui sait faire les fiches n’apprend pas grand chose et celui qui ne sait pas n’apprend guère ».

C. Le chef-d’œuvre pédagogique.

Au lieu des examens traditionnels qui cautionnent, voire renforcent le cloisonnement des matières et entraÍ®nent un cortège de révision, la classe a reçu l’obligation de voir chaque élève présenter un sujet pendant une heure devant un public. Il s’agit donc de quitter une pratique conventionnelle pour en adopter une autre, Í caractère culturel et émancipateur cette fois. Cette prestation permet de montrer Í l’évidence - dans une activité qui a du SENS – que chaque écolier terminant son école primaire maÍ®trise suffisamment le langage oral, la lecture, le calcul, la géographie, l’histoire, les sciences etc. inscrits au programme de l’école fondamentale … et que chacun s’est investi Í fond dans les domaines culturels de base : poésie, musique, arts… Il en apporte la PREUVE sans se soumettre Í des ÉPREUVES.

C’est une idée développée par les « Compagnons du Tour de France » du Moyen-Í¢ge. Chaque artisan entrait dans sa corporation en montrant la maÍ®trise de son art par une réalisation exceptionnelle. Cette pièce d’épreuve fait également partie de la pédagogie FREINET. Ce pédagogue français faisait réaliser un objet spectaculaire par les enfants de la fin de l’école élémentaire : montgolfière, four Í pain, station-météo etc. En plus, des brevets (dérivés des badges de BADEN – POWEL 1857 / 1941) venaient prouver la compétence dans les branches ou activités variées. Nous n’avons pas repris cette idée des brevets Í notre compte, car trop
chargée de compétition. En 1978, j’ai développé l’objection de conscience Í la notation et, dans la foulée, en tant qu’inspecteur au Ministère de l’Education, j’ai refusé d’organiser des examens externes régionalisés (examens cantonaux). En 1987, j’ai pu mettre pour la première fois en route, avec l’enthousiasme d’une équipe compétente – animée par Françoise Petit - , mon idée de chef-d’œuvre pédagogique. Cette école se situait dans un quartier défavorisé de Bruxelles o͹ j’animais des formations d’enseignants.

Choix des sujets :
Une liste des objets étudiés est élaborée lors des conseils de classe : la
faim dans le monde, les animaux menacés, les instruments de musique Í 
cordes, les chevaux, la banque, etc. Chaque sujet, même Í caractère général, devra présenter un aspect social. Un dossier sera réalisé par chaque récipiendaire, photocopié et distribué. Les élèves choisissent chacun un sujet. Ils pourront revenir sur leur choix tout le mois de septembre, (octobre, novembre…)

Solidarité :
Toute la classe collectionne les documents pouvant convenir. Des duos d’élèves sont formés pour préparer ensemble les deux sujets choisis… alors que l’exécution du chef - d’œuvre sera personnelle. Chaque élève a un parrain ou une marraine qui l’aide tout au long de l’année. Cet adulte, véritable « compagnon », rencontre son filleul et l’assiste pour lire la documentation, choisir et/ou élaborer des moyens d’expression (film, bande sonore, interview, diapositives, cassette vidéo, panneaux d’affichages, invitations…) Les parrains et marraines se réunissent aussi. Régulièrement lors des conseils de classe on fait le point sur l’avancement des travaux : « Est-ce que l’aspect historique est suffisamment développé dans tel travail ? Que faire ? »

Déroulement (un possible parmi d’autres) :
Chaque enfant, assisté de son co-équipier, présente son sujet durant une heure devant un public composé de ses parents, ses amis, des élèves des classes inférieures (qui voient ainsi o͹ il faut en arriver en fin de scolarité primaire), le parrain ou la marraine, l’un ou l’autre spécialiste de la question traitée, des invités (inspecteur, assistante sociale…). Au cours de la séance de présentation, il n’est pas rare de voir des enfants jouer du théÍ¢tre, fabriquer des objets, animer le public, photographier librement, questionner l’orateur…

Pari :
Il n’est pas concevable qu’un seul élève démontre qu’il ne sait pas lire,
écrire, etc. Aussi, tout est-il mis en œuvre pour que tous les élèves soient désireux d’apprendre une fois conscients des enjeux de l’école.

Restriction :
Le chef-d’œuvre n’est qu’une pièce dans un puzzle très vaste. Si on
l’implante dans une pédagogie traditionnelle – qui garderait les examens
par branche (dont les examens externes généralisés), qui priverait les
enfants des décisions, qui transmettrait des savoirs au lieu de libérer
l’énergie créatrice et la solidarité dans tous les apprentissages réussis par tous – on risquerait des déboires…
Écoutons Roger Cousinet nous mettre en garde dans un texte écrit en
1950, intitulé « Pour en finir avec les définitions réductrices » :
« L’éducation nouvelle ne se réduit pas aux méthodes actives dont tout le monde se réclame, Í juste titre ou non. L’éducation nouvelle a bien moins d’adversaires qu’autrefois, elle a beaucoup plus d’amis et c’est pourquoi sans doute elle est beaucoup plus en danger. D’abord ses adversaires varient leur tactique ; ayant longtemps affirmé que
l’éducation nouvelle était une erreur, ils affirment aujourd’hui qu’elle n’a rien de nouveau…Mais plus dangereux sont les « faux amis » de l’éducation nouvelle qui, ayant gardé intact l’esprit de l’éducation d’autrefois, s’emparent d’un certain nombre de procédés nouveaux qu’ils ont pillés, ça et lÍ , et les font servir Í maintenir cet esprit et Í les aider dans leur tÍ¢che, Í laquelle d’ailleurs ils ne changent rien. C’est ainsi que tel maÍ®tre répartit ses élèves en plusieurs « équipes » et donne Í chaque équipe un exercice de grammaire Í faire ou un devoir d’histoire et affirme, et se persuade quelquefois, qu’il a introduit dans sa classe le travail par groupes. Tel autre entrelarde son exposé de questions incessantes et pense utiliser une méthode active. Tel autre insère dans son emploi du temps Í un jour et une heure, prescrit un exercice d’expression « libre ». La liste des erreurs commises au nom de l’éducation nouvelle serait fort longue si on prenait la peine de l’établir. L’éducation nouvelle ne comporte pas un système, une organisation, un ensemble de règles, de procédés, de méthodes. Elle est essentiellement un esprit pour l’éducateur, un mode de vie pour les enfants
. »
Roger Cousinet, Leçons de pédagogie, PUF, 1950

Démarche pour l’animation – formation d’instituteurs, de directeurs d’école, de parents et de professeur d’écoles normales, inspecteurs, chercheurs, psychologue de P.M.S.

I. Consigne : « Lisez le texte intitulé : « A. Une cohérence »
et soulignez-y les mots les plus importants Í vos yeux. Travaillez
en silence pendant 10 minutes ».
II. « Par groupe de 4 ou 5 participants, pendant 20 minutes faites le
bilan des mots- clefs retenus et notez les plus importants sur une
feuille. »
III. En assemblée générale, l’animateur recueille et note en colonne
au tableau les mots-clefs retenus par chaque groupe, sans
interprétations.
IV. Distribution du feuillet suivant : « B. Vers une autre
cohérence ».
V. « Lisez Í votre aise, le texte « B. Vers une autre
cohérence » et soulignez-y les mots-clefs. Dix minutes de travail
individuel. »
VI. En assemblée générale, l’animateur note les mots-clefs retenus,
dans la seconde colonne du tableau.
VII. Débat : comparaison entre les deux cohérences
VIII. Distribution du feuillet suivant : « C. Le chef d’œuvre »
IX. : « Lisez Í votre aise, en silence, le texte pendant
10 minutes.
X. Débat général.

En guise de conclusion ...

A pédagogie traditionnelle, examens traditionnels – A pédagogie nouvelle, défis nouveaux – par projets personnalisés. D’o͹ vient cette autre cohérence qui débouche sur une implication globale de l’élève aux prises avec les facettes multiples du savoir ? Qui remplace les épreuves
structurelles froides par une preuve culturelle chargée d’émotion ?
Comment se fait-il que tel pédagogue raffine dans une pédagogie
encyclopédique et qu’un autre va de rupture en rupture vers
l’émancipation ? Mystère de l’aventure personnelle ? Méconnaissance des enjeux ?

Charles Pepinster

 Instigateur du GBEN (Groupe Belge d’Éducation Nouvelle - 1983)
 Fondateur de la Maison des Enfants, Í Buzet (Floreffe, Belgique)
 Ancien inspecteur cantonal