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Pour l’abolition de la note scolaire
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Pan à la note ! Panote ...

 Pourquoi les professeurs mettent-ils des notes à leurs élèves ?

 Pourquoi, alors qu’aucun texte légal ne leur en fait une obligation, qu’ils ne risquent donc pas de sanctions pécuniaires s’ils s’en défont ?

 Pourquoi, alors que la note ne fait pas apprendre et qu’elle fait perdre du temps ?

 Pourquoi, alors que les parents ne peuvent rien faire avec le verdict (… votre fille a 5 – ou elle a 15 - sur 20 en chimie) puisqu’ils ignorent comment le professeur est passé d’une analyse multidimensionnelle de la prestation à une note unidimensionnelle ?

 Pourquoi, alors qu’en outre, les parents ignorent comment le professeur a fait apprendre en amont, ou le professeur a appris à noter, ce qui l’anime ? Quels paramètres relationnels entrent en jeu dans ce jeu unilatéral ?

 Pourquoi noter, enfin, alors que professeurs et parents ignorent les ressorts psychiques de l’élève soumis au questionnement ?

Charles Pepinster

Evaluations émancipatrices Í l’Université (Mexique)
Récit d’une rupture radicale avec la notation scolaire
Article mis en ligne le 19 juillet 2008
dernière modification le 21 juillet 2009

Quand j’annonce Í mes étudiants que les interrogations et les examens « ne compteront pas », qu’ils ne seront pas sanctionnés par des notations chiffrées, ils me regardent avec incompréhension, voire incrédulité. Et pourtant, la seule manière de rendre aux évaluations leur valeur d’apprentissage, c’est de les dissocier des « points ». Mais peut-on concilier les nécessités de l’apprentissage et les exigences de l’université ? Après bien des tÍ¢tonnements, j’ai fait le saut. Je n’attache plus de notes aux évaluations. C’est cette expérience que je vais vous raconter. Au fond, il s’agit simplement de mettre en cohérence d’une part les pratiques d’auto-socio-construction des savoirs et d’autre part l’évaluation.

Entre autres occupations, je donne cours d’algèbre Í des candidats ingénieurs. Dans chaque classe, ils sont une trentaine, venus des quatre coins du département de Guanajuato, au centre du Mexique. Certains sont de familles assez pauvres et espèrent que leur diplÍ´me leur permettra un avancement social. Mais hélas, la plupart ont de très mauvaises bases en mathématique et surtout, ils n’ont appris Í aborder les problèmes que de façon mécanisée, plus préoccupés de produire la bonne réponse que de comprendre. Ceux qui obtiennent 7 sur 10, on déclare qu’ils ont appris le cours ; les autres doivent recommencer. Les échecs sont très nombreux. Alors, Í l’école comme Í l’université, le seul but, le seul souci, c’est d’être parmi ceux qui ont de bonnes notes. Peu importe si on apprend.

Il fallait briser ce cercle.

Lundi, sept heures du matin. L’aube pointe Í peine, la classe se remplit. Je distribue les questions. L’interrogation se passe en silence, chacun pour soi, par écrit. Après deux heures, je ramasse leurs productions. Le soir, j’analyse les réponses pour voir quelles difficultés ils ont eues. Parfois c’est une erreur de raisonnement, parfois une faute de calcul, ou bien une page blanche. J’essaye de comprendre ce qui s’est passé dans leur tête. Ils ont essayé, cherché, raturé, recommencé. En général, les résultats sont décevants. Mais l’erreur, c’est un droit de l’apprenant. Bien plus, c’est un tremplin vers l’apprentissage. Tant que l’on ne s’est pas égaré, on ne goÍ »te pas la joie d’avoir atteint le but.

A la séance suivante, je leur rends leur production, je les mets en groupes de trois, en veillant bien Í former des groupes hétérogènes, et je leur demande de corriger leurs erreurs. Mais sur leurs feuilles je n’ai rien écrit, je ne leur donne pas les solutions, je ne leur fournis aucune indication. A eux de chercher, avec l’aide de leurs livres. Vont-ils y parvenir ? DéjÍ les groupes s’animent, je les vois se mettre au travail avec entrain, on compare les réponses, on s’interroge, on recalcule, on discute. Je résiste Í la tentation d’aller les aider. Comme ils ne savent pas quelle réponse est la bonne, ils sont obligés d’expliquer leurs solutions, de justifier leurs points de vue. Ce faisant, ils verbalisent leurs idées, et un savoir se crée. Je contemple de loin. Il faut leur laisser du temps. Ce n’est qu’Í la fin que je m’approche des groupes, pour répondre Í l’une ou l’autre question. LÍ encore, je ne fournis pas les solutions. Ils n’en ont plus besoin. Ils ont trouvé.

Alors c’est le moment de mettre en commun les résultats. C’est une étape fort intéressante, car chaque groupe a suivi des chemins différents. On découvre qu’il y a plusieurs méthodes pour résoudre un problème. On s’écoute. On commente. On réfléchit sur la démarche effectuée. Tiens, on comprend encore mieux. L’apprentissage n’est jamais terminé. Ce serait donner une fausse impression que d’émettre un jugement chiffré, comme un verdict définitif. La suite du cours fera apparaÍ®tre de nouvelles ombres et de nouvelles lumières, quand les concepts d’aujourd’hui seront placés dans d’autres situations, qu’il faudra les repenser Í partir d’autres contextes et créer de nouvelles connections.

Qu’en disent les autorités universitaires ?

Elles réclament des notes chiffrées ! Mais je sais que si ces notes sont liées aux évaluations, ne fÍ »t-ce qu’indirectement, la méthode décrite ici s’effondrerait aussitÍ´t. Les étudiants seraient de nouveau obsédés par la réponse exacte mais non comprise, ils se verraient soumis au joug d’une comptabilité mercantile, enclins Í la rivalité et tentés de tricher. L’esprit de recherche et la volonté d’apprendre s’envoleraient de la cage o͹ on voudrait les enfermer.

Face Í ce dilemme, j’ai choisi de faire appel Í leur liberté. Êtes-vous décidés Í prendre en main votre apprentissage ? Voulez-vous montrer que vous êtes des personnes responsables ? Ce que je pénaliserai, ce sont les absences ou les retards injustifiés, les devoirs non rendus Í temps, les efforts promis mais non accomplis. Partant de 9 sur 10, je décompte une fraction de point Í chaque manquement au contrat. Bien entendu, ce calcul est adapté au nombre de cours et de devoirs, de telle manière que ne descende au-dessous de 7 sur 10 que l’étudiant qui fait preuve de désinvolture manifeste. Je dois aussi tenir compte du contexte culturel mexicain, par exemple la définition particulière de la ponctualité ou la facilité Í trouver des justifications d’absences.
Suffit-il alors d’assister aux cours et de remettre ses devoirs pour réussir ? Non. Pendant les démarches de groupe, j’ai amplement l’occasion de détecter d’éventuelles lacunes graves. L’étudiant en difficulté s’en rendrait vite compte, lui aussi. Je l’inviterais alors Í faire appel Í ses compagnons, qui sont les meilleurs professeurs. Si nécessaire et d’un commun accord, on déciderait de travaux complémentaires ou de séances de révision. Mais si l’effort n’était pas fourni ou s’il ne donnait pas de résultat, il lui faudrait soit refaire le cours, soit chercher une autre orientation.

Quelles conclusions tirer de cette expérience ?

Dès le premier essai d’« auto-socio-évaluation », j’ai été très étonné du résultat. Alors qu’avant, les étudiants échouaient en masse, maintenant beaucoup parviennent Í résoudre les problèmes et ils commencent Í comprendre ce qu’ils font. Après un temps de surprise, ils reconnaissent que l’évaluation ainsi vécue devient un véritable apprentissage. En les libérant du stress inutile des examens traditionnels, elle leur permet de se concentrer sur l’essentiel : réfléchir, essayer de comprendre, chercher Í donner un sens aux matières enseignées. Selon les mots de l’un d’eux (dans un commentaire anonyme) : « Cette façon d’évaluer me semble la plus complète parce qu’ainsi on se rend compte de combien on sait et on comprend ce que l’on sait ».

Bien sÍ »r, cela prend du temps, beaucoup de temps. Trois évaluations, qui chacune s’étale sur deux ou trois cours, cela fait près d’un quart des 36 cours du semestre. Mais en comparaison des piètres résultas de la méthode traditionnelle, cela n’en vaut-il pas la peine ? Donc je considère que c’est du temps gagné. Mais c’est un choix. On peut décider que les étudiants ne méritent pas qu’on leur consacre du temps et de l’effort. Auquel cas, seule une élite s’en sortira. Le plus souvent, cette élite provient de familles qui ont déjÍ accès Í la culture scolaire, donc sans toujours le savoir on continue d’exclure les milieux sociaux moins privilégiés. En outre, on les aura renforcés dans l’idée que le savoir est un luxe qui s’acquiert par la compétition, les expédients et la chance.

Ou au contraire, on peut décider que les mathématiques, c’est fait pour être compris. Sinon, quelle frustration pour l’enseignant, qui « aime ses maths », de les voir réduites Í d’inutiles formules Í mémoriser, trop vite oubliées ! Non. Je veux que les étudiants soient capables de les expliquer (donc elles ne peuvent rester un savoir individuel) et de les appliquer (c’est-Í -dire les mettre au service des défis de la vie réelle). Les mathématiques sont donc un bien commun Í partager et un outil que tous doivent dominer. Quoi d’étonnant alors si j’étais insatisfait avec la vieille conception des examens ? Il était devenu clair pour moi qu’elle était incompatible avec un apprentissage vrai.

Que mes étudiants sont contents de la méthode, cela finit par se savoir. Les autres enseignants commencent Í poser des questions. Nous venons de former un groupe de travail sur l’enseignement de l’algèbre. On y réfléchira Í la manière de présenter les thèmes, mais aussi sur les pratiques d’enseignement et d’évaluation.

Vous pouvez facilement vous imaginer que pour rien au monde je ne retournerai aux examens traditionnels avec notes. Par ailleurs, je sens que je suis Í peine au début d’une route dont je ne sais o͹ elle me mènera. Les étudiants ont encore beaucoup Í m’apprendre !

Philippe Eenens

 Astrophysicien belge
 Enseignant Í l’Université au Mexique depuis plus de dix ans
 Membre du GBEN (Groupe Belge d’Éducation Nouvelle)